Adossée au Centre d’hébergement et de réinsertion sociale les Augustins à Amiens, la colocation thérapeutique est une unité de vie destinée à d’anciennes personnes détenues, sujettes à des troubles psychiatriques le plus souvent psychotiques, isolées sur le plan social et sans solution d’hébergement. Cette unité de vie a été imaginée par l’Îlot et le docteure Jouin, médecin responsable du service psychiatrique de la Maison d’arrêt d’Amiens. La colocation thérapeutique accueille en priorité des patients qui se montrent motivés, qui ont envie de se soigner, qui ont déjà investi leur prise en soin psychiatrique. D’anciens détenus qui ont tissé un lien avec le service psychiatrique de la Maison d’arrêt d’Amiens, sur lequel l’équipe de la colocation thérapeutique s’appuie, et grâce auquel les patients peuvent s’inscrire dans une continuité. « Pour que ce qui a été fait « dedans », où ils sont très contenus, tienne « dehors », malgré la perte de repères », déclare le docteure Jouin.
Dans une petite maison aménagée à dessein, le but est de favoriser l’entraide mutuelle entre ces anciens détenus souffrant de troubles psychologiques, et les aider à se saisir pleinement de leur quotidien pour reprendre pied dans le monde en dehors de la prison : dresser la liste de courses et cuisiner en suivant la recette, entretenir la maison et planifier les petites réparations, respecter ses engagements et ses obligations... Autant de leviers pour leur apprendre à être autonomes, parce que l’incarcération et leurs problématiques psychiques les en ont jusqu’alors empêchés.
Denise BAVARD, Maitresse de maison de la colocation thérapeutique explique en quoi consiste son travail auprès des résidents de cette unité de vie atypique.
« Maitresse de maison c’est beaucoup de coaching pour (ré)apprendre à vivre au quotidien. Je suis le chef d’orchestre de la colocation. Je les incite à vivre ensemble dans l’entraide, le respect de l’autre, des lieux et surtout de soi. C’est très important de se respecter quand on a été abîmé par le temps en détention et, souvent, par un début de vie chaotique qui a mené en prison. Les résidents ont une très mauvaise estime d’eux-mêmes. Ils ont l’impression que tout le monde les regarde en sachant qu’ils ont fait de la prison. Ils ne savent pas non plus recevoir un compliment.
Je suis là pour les aider à retrouver l’autonomie qu’ils ont perdue, je suis une sorte de « kiné de la vie sociale ». Par exemple aller à un rendez-vous médical est très compliqué pour eux. Cela demande de :
- réaliser qu’on ne va pas bien ;
- faire la démarche de prendre un rendez-vous ;
- aller au cabinet médical ;
- se déshabiller ;
- parler de soi.
C’est trop difficile pour des gens qui se sentent jugés. Ils ont besoin d’un accompagnement pour faire cette démarche.
Je leur réapprends comment faire des choses « simples » du quotidien, comme établir le menu de la semaine puis aller faire les courses en fonction. Nous y allons une fois en voiture, l’autre fois en bus, pour qu’ils apprennent à se déplacer seuls en transports. Avec un budget alimentation de 40€ chacun par semaine, je les aide à étudier les prix, faire des choix en fonctions de cela et de leurs envies, tout en rappelant les bases d’une alimentation saine et équilibrée. C’est un véritable exercice !
Il y a tout un travail de réassurance qui se fait via des moments d’échanges spontanés, autour d’un jeu de cartes ou une autre activité. Il faut que les résidents aient confiance en moi pour pouvoir se saisir de mes conseils. Parfois ils se livrent sur leur parcours de vie chaotique, c’est très touchant mais je me dois – et je sais- garder une distance professionnelle et avoir une bonne capacité de recul. C’est très gratifiant de les voir réussir à accomplir des gestes quotidiens dont ils n’étaient plus capables. La colocation thérapeutique c’est une véritable rééducation à la vie sociale. »