Ce constat est issu du dernier avis du CESE consacré à la réinsertion des personnes détenues et adopté le 26 novembre 2019.
Les personnes sortant de prison ont des histoires différentes mais toutes ont tendance à idéaliser leur sortie de détention. Pourtant, elles sont fréquemment confrontées au rejet et à la stigmatisation, réduites à la peine qu’elles ont effectuée. Elles sont marginalisées et souffrent d’importantes difficultés à se réinsérer dues à une situation socio-économique très précaire : plus de logement, plus d’emploi, plus de proches sur qui compter.
Réinsertion sociale : Partir de là où en est la personne détenue
Un parcours de réinsertion sociale réussi ne peut consister en l’application d’un modèle unique. Dans les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de l’Îlot, nos équipes de travailleurs sociaux s’adaptent à la personne et lui proposent un parcours personnalisé en résonance avec ses aspirations, sa personnalité, mais aussi ses difficultés.
Les personnes que nous accompagnons ont souvent fait face à des difficultés familiales ou de santé. Pour débuter un accompagnement à la reconstruction de soi, il faut intégrer ces éléments du passé et prendre en compte la personne dans sa globalité. Il faut ajouter à ces éléments de départ un vécu en prison qui marque toute personne et qui contribue souvent à l’abîmer davantage, de par les conditions de détention mais aussi les addictions qui peuvent survenir ou être intensifiées durant l’incarcération. Près de 60% des personnes en lien avec la justice que nous accompagnons ont une addiction à l’alcool et/ou aux drogues.
Une situation administrative à jour pour la réinsertion sociale
Nombre de personnes détenues témoignent des difficultés d’activer les procédures indispensables à l’obtention de droits sociaux. La première étape essentielle dans l’ouverture des droits est d’avoir une carte d’identité. Or en 2019, Le Défenseur des Droits alertait sur les difficultés, voire l’impossibilité, dans certaines prisons de demander ou renouveler une carte d’identité. Autant de retards pris à la sortie sur la réinsertion sociale de ces personnes.
A l’Îlot, les travailleurs sociaux se soucient en premier lieu de cela « On ne peut pratiquement rien faire tant que la situation administrative de la personne n’a pas été régularisée. Il faut ré-ouvrir ses droits auprès de la sécurité sociale, s’assurer que la carte d’identité est à jour pour une inscription à Pôle Emploi qui permettra de demander une allocation de retour à l’emploi ou une Allocation Spécifique de Solidarité qui, une fois rejetée, permettra d’établir un dossier de demande de RSA, donc de pouvoir postuler auprès de chantiers d’insertion. Toutes ces démarches administratives, ça prend un peu plus de 3 mois. » (Anne, ancienne éducatrice spécialisée au CHRS Chemin Vert)
Prendre soin de soi pour se réinsérer socialement
La proportion de personnes malades au moment de leur incarcération est, à âge égal, plus importante que dans la population générale. Les prisons sont confrontées de plus en plus à la maladie – chronique, bucco-dentaire ou mentale – aux addictions, au suicide, à la vieillesse et au handicap. L’accès aux soins en détention reste difficile du fait de délais d’attente très longs. À la sortie, les problèmes médicaux et d’hygiène de vie constituent un frein important à la réinsertion sociale.
D’une manière générale, l’état de santé, physique et mentale des résidents de l’Îlot a une forte incidence sur la durée de leur séjour. Des rechutes ou des périodes d’aggravation des symptômes peuvent perturber, voire interrompre leurs démarches d’insertion. Les personnes dont la durée de séjour est la plus longue au sein de l’établissement sont aussi celles dont la santé est la plus fragile. Le travail de nos équipes est alors essentiel, non seulement pour le suivi des soins, mais également pour le réapprentissage des « basiques » que sont le fait d’entreprendre les démarches pour avoir une couverture de santé, d’honorer un rendez-vous chez le dentiste ou chez un spécialiste, de faire attention à son apparence pour recouvrer l’estime de soi, de bien se nourrir, etc.
S’ouvrir aux autres
En parallèle des démarches administratives et de santé, nous attachons une grande importance à ce que les personnes que nous accueillons se sentent membres à part entière de notre société. Cela passe par l’accès à l’emploi car le travail est une valeur importante et donne du sens à sa vie tout en assurant son autonomie (voir notre article sur notre accompagnement vers l’emploi du public justice). Mais cela passe aussi par l’ouverture aux autres avec une volonté de rencontre entre nos résidents et des personnes de l’extérieur que ce soient des bénévoles, des associations qui interviennent dans nos établissements pour proposer des animations, des artistes, etc.
Nous organisons régulièrement des sorties dans des musées, à la découverte de la ville ou à la mer. Autant de moments qui permettent de couper du quotidien, des problématiques de réinsertion sociale, de redonner du souffle, de la vitalité, et de se connaître entre bénéficiaires, travailleurs sociaux et bénévoles. Ces temps de convivialité sont essentiels pour réapprendre progressivement la vie en communauté, à apaiser les tensions qui apparaissent parfois dans nos établissements.
Redevenir parent après la prison
Pour les pères et les mères condamnés à une peine d’emprisonnement, il est très difficile de garder son rôle de parent pendant la détention. À la sortie, renouer avec ses enfants s’avère souvent compliqué, d’autant plus lorsqu’on est confronté à une situation de précarité. Au CHRS Thuillier, nous accueillons des femmes seules ou avec enfants, mais également des pères qui sont sans solution de logement à la sortie de détention et qui souhaitent bénéficier d’un lieu pour se reconstruire et retisser des liens avec leurs enfants. Au-delà de l’hébergement, notre équipe accompagne ces pères lors de la reprise progressive de contact. Nous les aidons à préparer la venue de leurs enfants dans l’établissement à travers des conseils simples mais parfois nécessaires tant certaines réalités ont été oubliées : penser à faire des provisions pour les repas, prévoir des activités adaptées à l’âge, ou simplement des petites attentions pour faciliter les retrouvailles et ce moment ensemble. La présence des travailleurs sociaux se veut rassurante sans être intrusive, notamment dans le cadre de visites médiatisées (visite en présence d’un travailleur social).
La réinsertion sociale des personnes sortant de prison ou sous main de justice demande de prendre en compte l’histoire de la personne, de connaître son vécu et savoir quelles sont les démarches administratives urgentes qu’on doit entreprendre avec elle. On ne peut faire l’impasse sur l’état de santé, condition sine qua non à toute démarche de réinsertion sociale. Enfin, on ne saurait considérer la personne sans penser à sa capacité à faire corps avec la société, à entretenir des relations sociales apaisées et à se sentir citoyen à part entière. Un état d’esprit indispensable pour éviter tout risque de récidive.