12/08/2024

Travailler en prison

Travailler en prison est un atout pour les personnes détenues qui en ont l’opportunité. Ce travail permet de sortir de sa cellule, de limiter le désœuvrement, d’avoir une activité rémunérée qui offre les moyens de « cantiner » et surtout il prépare à une meilleure réinsertion à la sortie, car plutôt qu’un vide dans un CV il y ajoute une nouvelle expérience professionnelle. Hélas l’offre actuelle d’emplois dans l’enceinte des centres pénitentiaires est en déclin et logiquement le taux de personnes incarcérées exerçant une activité rémunérée aussi. De 46,2 % en 2000, ce taux est passé à 28 % aujourd’hui (1). L’objectif du ministère de la Justice est de remonter ce taux à 50 %.

Peut-on travailler en prison ?

Depuis le 1er mai 2022, via la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021, une réforme importante du travail pénitentiaire est entrée en vigueur en France. Cette réforme voulue par le Garde des Sceaux vise à améliorer les conditions de travail des détenus et à favoriser leur réinsertion professionnelle.

En voici quelques points clés.

  • Création du contrat d’emploi pénitentiaire (CEP). L’acte unilatéral d’engagement est remplacé par un contrat d’emploi pénitentiaire (CEP) qui garantit des droits similaires à ceux des travailleurs de droit commun, incluant une rémunération minimale (qui représente entre 20 % et 45 % du SMIC) et un emploi du temps stable. Contrairement à la rémunération à la pièce qui était pratiquée bien qu’interdite depuis 2009.
  • Évaluation socio-professionnelle. Les personnes détenues qui souhaitent travailler doivent pouvoir bénéficier d’une évaluation socio-professionnelle pour mieux orienter leur parcours professionnel en détention.
  • Recrutement. Le travail en prison n’est pas obligatoire, aussi les personnes détenues doivent demander à être « classées au travail ». Une fois qu'il est classé au travail, le candidat peut demander à être affecté sur un poste de travail. La décision revient au chef d'établissement carcéral, tout en tenant compte du choix de l'entreprise qui propose le travail.
  • Droits sociaux. La réforme prévoit l’ouverture de nouveaux droits sociaux pour les détenus travailleurs, comme des droits à la retraite, pris en charge par l'employeur la personne détenue, ou au chômage après la détention, ainsi que des droits à la formation et à la couverture des risques professionnels.

Cette réforme a pour objectif de rapprocher les conditions de travail en détention de celles à l’extérieur.

Sous quelles conditions peut-on travailler en prison ?

Pour avoir le droit de travailler en prison, la personne détenue doit être classée au travail et affectée sur un poste par l'Administration pénitentiaire, c’est-à-dire par le chef d’établissement carcéral. La demande de classement au travail et la demande d'affectation sur un poste lui sont adressées par lettre.

La décision d'affectation est prise par ce dernier. Il tient compte du choix effectué par l'entreprise qui propose le travail et des motifs liés au bon ordre et à la sécurité. Si la décision est favorable, la personne détenue a le droit d'occuper un poste de travail au sein de l'Administration pénitentiaire ou au sein d'un service de production de l'entreprise qui a retenu sa candidature. Si la décision est négative, le chef d'établissement carcéral doit indiquer à la personne détenue comme à l’entreprise les raisons qui motivent ce refus.

Pour l’Îlot le travail en prison est un des piliers indispensables à une réinsertion réussie et durable, notre association a ouvert de nombreux dispositifs de retour vers l’emploi, dont récemment un Atelier et chantier d’insertion (ACI) de recyclage textile dans le Centre pénitentiaire de Beauvais. Deux salariés de cet ACI ont échangé avec nous sur leur intégration dans l’atelier.

- Comment avez-vous eu l’opportunité d’intégrer cet Atelier et chantier d’insertion du Centre pénitentiaire de Beauvais ?

« Il y avait une affiche indiquant l’ouverture de cet atelier. J’ai postulé. J’ai passé un entretien professionnel qui s’est bien passé. J’ai ensuite signé mon contrat pour intégrer l’atelier. »

Emmanuel

« J’ai postulé pour travailler en atelier et j’ai aussi fait une demande de formation dans le bâtiment. On s’ennuie beaucoup en cellule. Je ne voulais pas y rester, en travaillant le temps passe plus vite. Je voulais aussi pouvoir cantiner, faire en sorte que les gens de ma famille n’aient pas à m’envoyer de l’argent qu’ils n’ont pas. L’argent qu’on touche ici est le bienvenu. Le premier atelier qui m’a répondu c’est l’Îlot, alors je l’ai intégré. »

Gabriel

Les spécificités du travail en prison

« L’atelier apporte la possibilité d’échanger, de sortir du repli sur soi. Il y a un gros travail pour les remotiver, leur faire reprendre goût à la vie et les aider à bâtir un projet. Même s’ils ne sont pas tous excusables, ils méritent de se réinsérer.
Être encadrant de public justice cela exige leur respect tout en étant très proche pour pouvoir créer une dynamique de groupe. Le respect est mutuel, moi aussi je les respecte. Il faut les motiver par un lien bienveillant, à leur écoute, nouer un lien de confiance tout en leur faisant effectuer leur travail correctement. Parfois c’est un peu compliqué de rester enfermé toute la journée avec des détenus. Ils peuvent confier des choses lourdes comme des envies de suicide.
Voir leur progression dans leur attitude et dans leur investissement dans leur activité, c’est gratifiant. »

Hakim encadrant de l’Atelier et chantier d’insertion de recyclage textile de l’Îlot dans le Centre pénitentiaire de Beauvais.

Les différents régimes de travail en prison

Le travail en détention s’organise autour de deux régimes : le service général et la production.

Le service général
Les personnes détenues effectuent des travaux d'entretien des locaux et des tâches nécessaires au fonctionnement de l'établissement. Par exemple, elles travaillent en cuisine, à la distribution des repas, à la plonge, à la propreté des locaux ou au service blanchisserie de la prison. Dans certains établissements pénitentiaires, l’État délègue à des entreprises privées, par le biais d'un marché public ou d'un contrat de partenariat, certaines missions de leur gestion. Les missions concernées sont la restauration, la maintenance des locaux ou encore la gestion du travail des personnes détenues au service général ou en production. Dans ce cas-là c’est l’entreprise qui a obtenu la concession qui organise et gère le travail.

La production
Les personnes détenues travaillent dans les ateliers pénitentiaires, pour un donneur d’ordre. Ce dernier peut être une entreprise concessionnaire, une entreprise délégataire (titulaire d’un marché de gestion déléguée), la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP), elle le fait sous le contrôle direct de l'Administration pénitentiaire, dans des ateliers gérés par le Service de l'emploi pénitentiaire (SEP), géré par l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP), une entreprise adaptée ou une structure d’insertion par l’activité économique (SIAE), comme par exemple l’Îlot qui a ouvert en 2023 un Atelier et chantier d’insertion de recyclage textile dans le centre pénitentiaire de Beauvais.

Le contrat d'emploi pénitentiaire

« Le travail en prison se fait sous un contrat spécifique appelé Contrat d'emploi pénitentiaire (CEP). La personne détenue qui a été classée au travail et qui a été affectée sur un poste doit signer un CEP avec le service général de la prison ou l'entreprise privée qui propose du travail en prison. L'entreprise privée qui propose le travail en prison est appelée « donneur d'ordre ». Le contrat d'emploi pénitentiaire doit être complété par une convention qui définit les obligations respectives de l'établissement carcéral, de la personne détenue et de l'entreprise qui propose le travail. Le règlement spécifique à chaque activité professionnelle et la grille de rémunération doivent être affichés sur les lieux de travail. Le donneur d'ordre signe un contrat d'implantation avec le chef d'établissement carcéral pour une durée de 7 ans, renouvelable par tacite reconduction.

Le contrat d'emploi pénitentiaire régit tous les aspects du travail des personnes détenues. Il doit être signé par le travailleur au plus tard dans les 2 jours ouvrables suivant sa prise de poste.

Le contrat d'emploi pénitentiaire doit comporter les mentions suivantes :
régime de travail ;

  • caractère déterminé ou indéterminé de la durée du contrat ;
  • clause de renouvellement si nécessaire ;
  • date effective du début d'activité et, en cas de besoin, date de fin de contrat ;
  • durée et conditions de la période d'essai et conditions de renouvellement ;
  • description du poste de travail et des missions ;
  • risques particuliers liés au poste de travail si nécessaire ;
  • durée hebdomadaire ou mensuelle du travail ;
  • temps de pause et de repos et jours fériés ;
  • organisation des périodes d'astreinte si nécessaire ;
  • montant de la rémunération et des primes éventuelles ;
  • montant des cotisations sociales ;
  • règles de modification du contrat ;
  • règles de suspension et de fin du contrat.

Lorsque le travail est accompli pour le compte d'une structure d'insertion par l'activité économique ou d'une entreprise adaptée, le contrat d'emploi pénitentiaire doit prévoir un accompagnement socioprofessionnel. » (2)

Cet accompagnement socioprofessionnel est précieux pour les personnes détenues travaillant. Interrogés sur leur appréciation de notre Atelier et chantier d’insertion de recyclage textile dans le centre pénitentiaire de Beauvais, les salariés ont insisté sur ce point.

« Qu’est-ce que cet Atelier et chantier d’insertion vous apporte et comment cela va vous aider dans la suite de votre parcours ?
[…] Le gros plus de cet atelier c’est l’accompagnement car ça nous aide beaucoup. On est vraiment accompagnés, on voit que ça bouge. On a des rendez-vous individuels avec la Conseillère en insertion professionnelle (CIP) tous les 15 jours. Le suivi est très rigoureux. Son écoute est attentive, elle connaît très bien nos dossiers et les étudie tous cas par cas. Grâce à ça j’ai déjà eu un rdv avec une agence d’Intérim. Ça donne tous les contacts pour faire les démarches en amont de la sortie et donc ça nous évite de perdre du temps une fois dehors. Et si on arrive à avoir un projet professionnel qui nous attend à l’extérieur cela peut permettre de sortir plus tôt sous bracelet électronique. C’est un bon coup de pouce.

- Redoutez-vous votre sortie ?
A ma sortie j’ai la chance d’avoir une famille et un logement qui m’attendent. Donc la vraie question ce sera le travail. Le casier judiciaire va me fermer quelques portes. Heureusement l’Îlot va me suivre pendant encore deux ans. »

Emmanuel,
salarié de l’Atelier et chantier d’insertion de recyclage textile de l’Îlot dans le Centre pénitentiaire de Beauvais

(1) oip.org
(2) Travail pénitentiaire - un site de l'Atigip (travail-prison.fr)

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