tribune publiée par le collectif #InternetEnPrison
Qui parmi nous passe encore une journée sans utiliser Internet ? Omniprésent et incontournable, il irrigue aujourd’hui tous les champs de nos vies. Information, éducation, communication en sont quelques exemples. Pourtant, plus de 72 000 citoyennes et citoyens en sont privés : les personnes détenues dans les prisons françaises.
Les conséquences sont pour elles immenses : comment gérer sa situation administrative au moment de son incarcération comme la simple résiliation de son bail ? Comment accéder à des plateformes d’enseignement en ligne ? Comment chercher un emploi et un logement pour préparer sa sortie ?
Faute d’accès à Internet, les prisonniers et prisonnières sont entièrement dépendants de travailleurs sociaux, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, enseignants, avocats ou encore intervenants en point d’accès aux droits qui doivent réaliser ces démarches à leur place. Et quand ces derniers acceptent de le faire, alors même que cela ne relève pas nécessairement de leurs missions, c’est au prix d’un travail souvent alourdi et complexifié.
Nous, organisations professionnelles du monde prison-justice et associations intervenant auprès des personnes détenues ou sortant de prison, mesurons au quotidien les effets de cette « double peine » sur leurs droits fondamentaux et leur retour à la vie libre. Autrement dit, sur leur inclusion citoyenne, paradigme fondant toute société humaniste et universaliste. Sans un accès à Internet, une personne isolée peut difficilement prétendre à un aménagement de fin de peine faute d’avoir pu trouver une offre d’emploi ou un logement ; une personne étrangère se retrouve souvent dans l’impossibilité de renouveler son titre de séjour faute d’avoir pu faire sa demande de manière dématérialisée ; une personne sourde communiquant uniquement en langue des signes est privée d’un contact régulier avec sa famille ou urgent avec son avocat faute de pouvoir communiquer via téléphone, etc.
Outil de réinsertion
Alors qu’institutions et autorités administratives indépendantes demandent depuis plus de dix ans l’introduction d’Internet en prison, et que de nombreux pays ont déjà emprunté cette voie, la France reste à la traîne. En 2023, le projet du ministère de la Justice reste celui d’une timide expérimentation dans trois quartiers pénitentiaires destinés à l’accompagnement vers la sortie ainsi que dans le cadre d’une formation professionnelle dispensée en prison avec, dans les deux cas, une mise en œuvre aux contours flous.
L’accès à Internet entre les murs est ainsi pensé de manière marginale et morcelée. Condition de l’effectivité de nombreux droits, il devrait au contraire être abordé comme un projet global et devenir la règle et non l’exception. Son caractère pluridisciplinaire – justice, solidarité, santé, enseignement, culture ou encore travail et insertion – requiert une impulsion politique au plus haut niveau et un pilotage interministériel. Cette évolution, vectrice d’émancipation, d’autonomisation, d’atténuation de la ségrégation due à l’enfermement physique et de la rupture vis-à-vis des modes de fonctionnement de la société libre, est désormais aussi urgente qu’indispensable.
Autoriser Internet en prison n’est en rien un cadeau fait aux personnes détenues. Parce que ce lien avec l’extérieur est à même de leur donner les conditions de préparer – par elles-mêmes – leur sortie et leur réinsertion, donc de réduire les risques de récidive, c’est avant tout un service rendu à la société dans son ensemble.
Les membres du collectif : Arapej 41, A3D (Association pour la défense des droits des détenus), Anaec (Association nationale des assesseurs extérieurs en commission de discipline des établissements pénitentiaires), Anas (Association nationale des assistants de service social), Anjap (Association nationale des juges de l’application des peines), ANVP (Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice), ASPMP (Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire), Association des anciens du Genepi, Auxilia, une nouvelle chance, Ban Public, Casp Arapej, CGT – Insertion et Probation, Cimade, Citoyens et Justice, Clip, CNDPIP (Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation), Courrier de Bovet, Emmaüs-France, Farapej, Fas (Fédération des acteurs de la solidarité), Gisti, L’Îlot, Lire C’est Vivre, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Lire pour en sortir, OIP-SF (Observatoire international des prisons – Section française), Petits frères des pauvres, Possible, Saf (Syndicat des avocats de France), Secours Catholique – Caritas France, SM (Syndicat de la magistrature), Snepap-FSU (Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire), SNPES PJJ/FSU(Syndicat national des personnels de l’éducation et du social – Protection judiciaire de la jeunesse).
Tribune publiée dans Ouest France