Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis Italienne, originaire de Pise. Diplômée d’histoire contemporaine j’ai enseigné cette discipline à l’Université de Florence de 2009 à 2013. En parallèle de 2012 à 2014 j’ai donné des cours de langue et culture italienne au Centre de détention "Don G. Bosco" de Pise, mais aussi hors de prison j’ai fait de l’enseignement bénévole pour adultes étrangers auprès du Collège "L. Fibonacci" de Pise et j’ai été Référente Préfecture de Pise pour les tests de citoyenneté pour les adultes étrangers et pour les adolescents non accompagnés. J’ai vécu, étudié entre la France et l’Italie, entre Nice et Pise. J’ai ainsi obtenu en 2018 un doctorat de recherche en Science politique, en cotutelle entre l’Université de Pise, département de Sociologie et Science politique, et l’Université Côte d’azur, département de Droit et Science politique.
Aujourd’hui je suis attachée temporaire d'enseignement et de recherche en Science politique à l'Université de Rennes 1, je suis aussi chercheuse au CRHI, Centre de recherches en histoire des idées, de l’Université Côte d’Azur et au laboratoire Mesopolhis d’Aix-Marseille Université. Depuis 2019 je suis membre du groupe transdisciplinaire de recherche KAIROS (Research group on social control, imprisonment, prisoner’s education and social inclusion) de l'Université de Pise, département de Sociologie et Science politique. Mes recherches mettent l’accent sur la prévention de la récidive à travers le parcours d’études et de formations professionnelles accessibles dans les prisons.
J’ai publié en 2021 l’étude « L'enseignement universitaire en milieu carcéral, Expériences comparées entre la France et l'Italie », qui démontre l’importance de pouvoir mener des études pendant le temps d’incarcération et deux autres livres en langue italienne sur le domaine de la prison publié par Pisa University press (2021-2022).
Pourquoi avez-vous mené vos recherches dans le domaine pénitentiaire ?
J’ai toujours été bénévole. Dans des écoles publiques, pour la Croix-Rouge, pour Caritas, auprès des plus pauvres… Le domaine carcéral est le domaine le plus oublié, y compris par les bénévoles. Depuis toujours j’aide à des collectes de produits d’hygiène, des vêtements ou des jeux pour les enfants des détenues. J’effectue un travail de sensibilisation auprès du voisinage pour ces collectes. J’ai également récupéré des livres auprès d’une bibliothèque qui déménageait. Nous avons passé des jours et des jours à vérifier un à un les livres afin qu’ils puissent être admis dans l’établissement pénitentiaire. J’ai aussi travaillé à trouver des financements pour des projets en prison et pour la création de la section de l’école hôtelière dans la Maison d'arrêt de Pise avec l’aide du directeur Monsieur Fabio Prestopino, du directeur de l'Académie Luigi Sebastiani et de Madame Daniela Coviti de l’association de bénévole Controluce.
Mais le vrai engagement commence à partir de 2012, avec l’enseignement en établissement pénitentiaire. Les femmes de la prison de Pise rencontraient des difficultés pour accéder aux études, je m’en suis donc occupé. Depuis le doctorat, je m’occupe de la prison sur le plan scientifique, en m’appuyant sur les efforts réalisés sur le terrain au cours de ces deux années d’expérience très intense.
Pouvez-vous résumer le constat de vos recherches ?
Il est important que dans le temps de la détention le détenu puisse faire quelque chose d’utile pour lui, faire quelque chose de constructif. Un projet professionnel, c’est bien mais ce n’est pas pour tout le monde. Pour certains, la prison fait partie d’un parcours de délinquance ou de crime et c’est justement ce que l’éducation doit changer. Il est bénéfique de leur apporter une éducation qui ouvre à la réflexion pour modifier la forma mentis de la personne. En Italie, des conférences et des leçons universitaires sont dispensées en prison sur l’ensemble du territoire national, elles donnent la possibilité de s’améliorer dans la globalité et surtout de réfléchir. L’enseignement ne permet pas seulement d’arriver à un diplôme, il doit favoriser cette réflexion. Cela permet d’obtenir des changements spontanés et non commandés, donc des changements en profondeur. Cela a beaucoup d’effet sur la santé, selon les retours des psy et des éducateurs. Il y a une nette diminution de la cigarette, un meilleur sommeil, moins de recours aux médicaments, aux gestes de scarification et d’automutilation. Tous les intervenants font cette conclusion. Il est donc nécessaire de fortifier davantage la formation scolaire. L’éducation en présentiel est indispensable pour les personnes détenues car elle encourage la motivation et le soutien dans leur parcours. C’est un gain pour nous tous.
Je prends l’exemple d’une ex-détenue italienne anarchiste. Elle a terminé ses études de lettres en prison, elle a aussi décroché un diplôme professionnel de chef. Après la prison, elle a travaillé en cuisine et plus tard signé un CDI en tant qu’enseignante. Grâce à ses études en détention, elle a connu dans le même temps une évolution de ses capacités professionnelles et intellectuelles. Elle a ainsi réussi à maintenir vivante sa relation avec sa famille, car son évolution a modifié son attitude. Elle en est ressortie fortifiée.
Beaucoup de personnes incarcérées le sont pour des courtes peines. Dans ce cas un enseignement peut-il quand même être mis en place en maison d’arrêt et être bénéfique ?
Oui, j’ai enseigné même pour les courtes peines. Par exemple dans la maison d'arrêt de Nice, en enseignement de la langue. Pour des courtes peines on va adapter l’enseignement au temps de la peine. Même brièvement, il est toujours bénéfique d’accéder à l’éducation.