07/07/2015

Roger, salarié à l'Atelier Qualification-Insertion d'Aubervilliers

"Je repars à zéro. Alors, qu’on me donne un coup de main, oui, pour me mettre sur les rails, mais pas de pitié."

Roger* a été recruté en septembre 2013 pour un parcours d'insertion de 11 mois au sein de l'Atelier Qualification-Insertion. Depuis la fin de son contrat, en septembre 2014, presque une année s'est écoulée. Qu'est-il devenu ?

Pouvez-vous nous dire comment vous êtes arrivé à l'Îlot ?

C’est Mme Derrough, de Sodexo Justice Services, qui m’a parlé de l’Îlot, quand j’étais encore en détention. Je travaillais en cuisine et comme tout se passait bien, elle m’a parlé de l’Atelier Qualification-Insertion, pour avoir le diplôme. A la base, j’ai le diplôme de chef de sécurité incendie, le SSIAP 3. J’étais chef de service, je formais moi-même des agents… mais quand on a fait de la prison c’est fini, on ne peut plus travailler dans ce domaine. Bon, la cuisine j’adore ça, j’avais les bases donc en prison j’ai travaillé là-dedans. Avec Sodexo j’ai suivi la formation en hygiène alimentaire et je m’y suis mis. Au bout de 2 ans, j’ai demandé un aménagement de peine. Je savais que mes enfants étaient tout seuls - ma femme les avait abandonnés - il me fallait une liberté conditionnelle. Mais pour l’obtenir il me fallait un emploi. Trouver un travail quand on n’a pas de qualification, ça n’a rien d’évident. J’ai été reçu en entretien par 3 personnes : il y avait la formatrice de Prom’hôte, la responsable et la conseillère en insertion de l’Atelier. L’entretien était un peu tendu : on me demandait si j’étais prêt à porter l’uniforme, à respecter des horaires… mais l’uniforme j’étais habitué ! c’était mon métier, avant ! Il faut dire que j’étais stressé, aussi. Enfin, la responsable m’a dit que c’était bon, j’étais pris.

À partir de là, tout s’est enchaîné ?

Pas vraiment, non. Parce que ma demande d’aménagement de peine n’a pas abouti. En commission, la Juge d’Application des Peines a refusé toutes les demandes de mise en liberté. Ça m’a mis un coup au moral : tout était reporté d’un an ! Heureusement, la responsable de l’Atelier m’a appelé ; elle m’a dit : « ne vous inquiétez pas, nous vous gardons votre place ». Quand je suis finalement sorti en liberté conditionnelle, Mme Derrough m’avait mis en relation avec un restaurant d’insertion. A l’entretien d’embauche on était trois ; avec ma poisse je n’y croyais pas trop mais j’ai été pris pour 6 mois, en attendant qu’une prochaine session de l’Atelier Qualification-Insertion démarre. Pendant ces 6 mois j’ai fait la plonge, le service en salle… et puis j'ai enchaîné avec l'Atelier. Tout était prévu.

Vos premières impressions en arrivant ?

Au début, même si ça faisait déjà 6 mois que j’étais dehors j’étais un peu tendu. C’est la peur du regard des autres… Je ne connaissais pas les autres. Même si eux aussi avaient fait de la prison, j’appréhendais.

Vous avez quitté l’Atelier Qualification-Insertion il y a presque un an. Qu’en retenez-vous ?

11 mois, ça passe vite et ce n’est pas trop pour se former ! C’est sûr, j’avais des bases mais la formation m’a été utile, sur la gestion du temps notamment, les pesées, les procédures à respecter… Bon, à côté de ça les séances de théâtre, ce n’était pas trop mon truc. M’exprimer devant les autres, ce n’est pas facile… par contre j’ai bien aimé les sorties, comme à Versailles – surtout la visite des parties privatives, que je n’aurais pas pu visiter autrement, vraiment je me suis régalé - et le chantier dans les Pyrénées. Je n’ai que des bons souvenirs… Mais le plus important c’est que personne n’était là pour nous materner. Surtout je ne voulais pas de pitié, de compassion. Je ne veux pas qu’on me plaigne. Je repars à zéro. Alors, qu’on me donne un coup de main, oui, pour me mettre sur les rails, mais pas de pitié. A l’Îlot, tout le monde me parle d’égal à égal, et c’est ça qui est bien. Après, il y en a dans le groupe, je les aurais renvoyés vite fait d’où ils venaient. L’équipe est d’une patience ! moi, je ne pourrais pas. Enfin… quand on sort de prison on n’est plus pareil. On ne voit plus rien de la même façon.

Par exemple ?

C’est difficile à dire. J’ai changé. J’attache moins d’importance à certaines choses. Et puis en sortant j'avais l’impression que tout le monde savait que j'avais fait de la prison, comme si c'était écrit sur mon front. Il y a un côté effrayant… Enfin, ça passe, la peur que les gens sachent. Mes proches le savent. Je ne pourrais pas leur mentir, mais c’est dur. On connaît quelqu’un depuis quelques mois, on se lie d’amitié, et puis quand on lui dit qu’on a fait de la prison, tout d’un coup on n’est plus personne. Ça m’est arrivé. C’est dur. Tant qu’on n’a pas été en prison, on ne se rend pas compte… Maintenant, la vie, la mort, c’est moins important pour moi. Par contre, la liberté, j’ai vraiment compris ! Avant, je ne me rendais pas compte de la chance que c’est d’être libre. En prison, on ne fait rien sans autorisation. On nous dit quand on se lève, quand on se douche, quand on mange… Et puis la prison c’est vraiment glauque. Pendant 3 ans, je me suis dit tous les matins : « est-ce que je vais passer la journée ? », et le soir j’étais content qu’elle soit passée. A côté de ça j’ai eu de la chance, j’avais un bon relationnel avec tout le monde. Je n’ai jamais eu un rapport, jamais un problème. Mon chef s’appelait Philippe : en prison on n’a pas le droit de connaître les noms. Il était sympa, il m’a fait un dossier en béton pour sortir. Avec lui j’ai appris des choses.

Vous avez obtenu votre diplôme, en septembre 2014. Et depuis ?

Trois-quatre jours après la fin de mon contrat à l’Îlot, ma conseillère d'insertion m’a parlé d’une boîte d’intérim. Une boîte très correcte qui m'a trouvé une mission à mi-temps pour une entreprise. J’y travaille du lundi au jeudi, en complément d’une salariée qui est en poste. Et le vendredi ils m’appellent pour d’autres missions. Pour l’instant, je touche du bois, ils m’ont toujours trouvé des missions. Là, c’est bien, j’ai une mission de trois jours : vendredi, samedi, dimanche. Ensuite, j’enchaînerai avec ma mission habituelle. C’est de la restauration collective, pour une soixantaine de personnes. Entre la préparation – tout à la main – le service et la plonge, et il y a deux services, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Mais l’équipe est super. Mon chef ne sait pas que j’ai fait de la prison mais sinon il sait tout. Et puis à Noël j’ai eu droit à mon colis, avec du foie gras, des bonnes choses… ça m’a touché.

Donc, tout va bien pour vous ?

Disons que ça va mieux, mais ce n’est pas encore ça : jusqu’au mois d’octobre, j’étais hébergé chez ma tante, mais il a fallu que je parte. Du jour au lendemain, j’étais à la rue. Mon agence d’intérim m’a payé quelques nuits dans un petit hôtel meublé, avec la salle de bains sur le palier… et j’y suis toujours. Pas facile de trouver un logement quand on est intérimaire ! Là, j’attends qu’une place se libère en foyer de jeunes travailleurs. A 600 euros par mois pour me loger, avec 900 euros de paie, ce problème de logement commence à me peser. Sans compter les parties civiles que je rembourse tous les mois, ma femme qui est partie en laissant une ardoise de 22 000 euros de loyers impayés... Et puis je dois encore pointer, tous les 6 mois, auprès des autorités. C’est la vie. La prison ne me quittera jamais. Mais bon, c’est surtout le logement qui me soucie. Grâce à une association, je peux voir mes enfants plus régulièrement, dans un appartement qu’on me prête. Quand j'aurai mon logement à moi, ça ira mieux !

Et si vous aviez un message à transmettre aux donateurs de l’Îlot ?

Je leur dirais que ce qu’ils font, c’est très important. Que ce dont on a besoin, ce n’est pas d’argent de la main à la main mais de l’argent qui nous aide à trouver du travail. Et puis ce qui fait du bien c’est de savoir que pour les donateurs on est des humains. Ils nous font confiance et c’est le plus important.

  • Pour respecter son anonymat, nous avons modifié le prénom de cet ancien salarié en insertion.

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